A nouveau seule, et dans le silence qui avait précédé un hurlement particulièrement gras, Lysandre semblait maintenant toute petite dans l’immensité des Catacombes. La chance n’avait pas tourné, pour l’instant son odeur n’avait attiré d’autres prédateurs autre que deux Amaroks qu’elle venait de quitter. Mais ce qui troublait la jeune rousse, c’était surtout le nébuleux de cette rencontre. Elle semblait déjà si lointaine, et se forçait à se remémorer les limbes de quelques paroles et attitudes. Son esprit semblait réticent, il peinait à lui montrer des images qui remontaient pourtant à quelques minutes. L’angle de ses perceptions s’amoindrissaient, quelques secondes plus tard les couleurs revenaient mais pour combien de temps ? Il lui avait semblé que pendant sa conversation avec le loup… dont elle avait déjà oublié le prénom, quelque chose s’était produit. Sa mémoire avait flanché, les mots s’étaient évaporés avec les souvenances et les certitudes. La sensation s’était pourtant vite amoindrit mais là, alors qu’elle fronçait les sourcils pour trouver un détail qui lui échappait, Lysandre éprouvait la frustrante sensation que les choses détalaient alors qu’elle les tenait presque sur le bout de la langue. Ils s’évaporaient, les souvenirs. Et alors qu’elle essayait de revoir le visage de cette personne qu’elle avait suivit jusqu’ici, sa morphologie se modifia, une autre figure apparue et elle passa une main sur sa gorge qui se crispait de panique.

C’était comme si on lui avait retiré quelque chose. Une part immense d’elle tandis que l’arrière de son crâne la brûlait d’une douleur lancinante qu’elle n’arrivait plus à ignorer. Et puis, alors qu’elle tentait de retrouver son chemin dans le dédale de pierre, soudainement… Lysandre se sentit happée par les ombres et le froid. Par un vide incommensurable qui d’un seul coup, constitua l’entièreté de ce qu’elle était. Son regard se leva sur l’endroit où elle se tenait, fouillant sa mémoire percée pour comprendre. Mais rien ne venait, hormis ce vide incroyable qu’elle ne parvenait pas à contourner. Son prénom, elle l’avait. Lysandre. Le reste, était trop flou et se dérobait encore et encore sans trêve ni pitié. Pourquoi cette douleur à la tête ? Pourquoi sa jambe était-elle en si mauvais état… et qui. Bon dieu. Qui était-elle ? Puis quelque chose bougea non loin d’elle. Un instinct fugace lui dicta la fuite, mais elle en fut proprement incapable et leva simplement des yeux perdus vers le mouvement qui s’effectuait derrière elle…

   

Son cerveau, sa tête vrille sous ses doigts alors qu’elle essaye de stabiliser cette douleur, son équilibre dérisoire sous les assauts du mal à l’arrière de son crâne. Quelque chose implose, c’est douloureux. Pire encore cela perce son crâne et rend sa vue quasi trouble l’espace de quelques secondes. La nausée grimpe, elle aussi, le long de son œsophage lorsque son oreille interne même flanche un peu, créant un nouveau vertige. Et cette putain de douleur ! Même la terreur de perdre le fil de sa propre vie semble gentillet à côté de cela. Et puis soudaine, c’est terminé. La douleur est toujours présente, mais en sourdine, elle s’essouffle et la laisse respirer. Elle… La boite désormais vide. Quelques secondes à peine, et le souffle bloqué inspire, les sourcils se fronce au-dessus de son regard perdu. Et l’indicible évidence lui saute à la gueule … elle ne sait plus. Presque plus rien hormis quelques détails insignifiants en fouillant cette mémoire souveraine qui la laisse seule et sans plus aucune certitude. La peur lui dévore le ventre, alors que Lysandre ignore même la raison de sa présence en ce lieu qui d’un coup, semble si menaçant à son encontre.  Puis c’est autre chose qui lui saute à la gueule, alors qu’elle échappe un cri de surprise et se retrouve plaqué contre la pierre. Sa tête heurte encore cette roche poreuse qui l’esquinte et laisse des étoiles danser devant ses yeux. Un coup, encore un… et voilà qu’elle semble échapper plus encore de mots et de souvenirs pourtant dissimulés.

Mais le moment n’était pas aux perceptions, tandis qu’elle se laissait avaler par ce regard affolant, bleu et si redoutable. Elle resta un instant pétrifié dans son regard avant qu’elle ne sente le prénom sur le bout de sa langue. Lui… elle ne connaissait c’était comme si sa peau même réagissait à sa présence. Quelque chose l’avait marqué, profondément. Mais il était tellement effrayant, que l’impression de déjà vu épidermique s’envola au profit d’une stupéfaction prolongée, et d’un mot qui l’avait frappé. « Chérie ». Et pourtant, Lysandre n’arrivait pas à comprendre, à le remettre, et son fasciés aux deux Topaze aiguisées pour la blesser jurait avec ce mot troublant. Alors elle le repoussa en frappant son torse, se dégageant en titubant et cherchant à s’éloigner en maintenant un bras devant elle pour lui intimer de ne pas approcher. Mais son dos heurta un muret et elle sursauta en hurlant à nouveau… avant de se mettre à trembler comme une feuille pour choper un caillou et le jeter (incroyablement bien visé d’ailleurs…) sur le crâne du type.

T’es qui toi ? Pourquoi tu m’parles comme ça ?!

La sueur perlait déjà sur son font alors que Lysandre raclait le mur en cherchant à se barrer. C’était fou, elle désirait fuir à toute jambe, quelque chose lui hurlait de le faire. Mais puisqu’elle s’éloignait vers une destination inconnue, elle préférait laisser son regard observer le noir derrière elle.

Je te préviens si tu approches je te … je …

Quoi donc ? Elle ne trouva pas grand-chose… hormis :

Je hurle OKAY ?!

   

La peur lui rongeait les entrailles alors qu’incapable de fixer autre chose que ces deux grands yeux hostiles, la fille gardait le bras tendu, cramponnée à son caillou en guise de menace. Elle tremblait devant cette expression vénéneuse qu’il lui adressait, ses phrases sans aucun sens qui en revanche, sonnaient comme miles menaces. Alors elle reculait toujours, glissa sur une pierre et se rattrapa maladroitement alors qu’il semblait enfin percuter qu’elle ne se souvenait clairement de rien. Cette sensation la regagna aussi bientôt, et la lèvre mordue cruellement ne suffisait semble-t-il pas à faire ravaler les larmes qui montaient aux yeux de la rouquine. Sa jambe douloureuse, sa tête qui enflait et ce type malsain… tout cela l’empêchait de penser. Ça bourdonnait … ça tournait autour de souvenirs qui parvenaient toujours à s’échapper de loin en loin. Et puis, l’autre parlait jusqu’à faire cogner son cœur au point de lui refiler la nausée.

Mads…

Elle avait répété machinalement, dans un tremblement de voix qui déformait presque le prénom mais oui. Il y avait bien un écho. Son regard se fit presque plus grand, légèrement plus vif entre les larmes. Mais quelque part, cela lui insuffla quelque chose de trop fort. Frissonnante, elle sentait son épiderme se dresser…. Autant qu’un sentiment d’impuissance et de crainte. De défiance aussi… quelque chose de combatif et en même temps de terriblement chaotique. Une chaleur, contre son bas ventre. La terreur la plus profonde… Trop d’incohérences. Et puis, il lui inspirait quelque chose de particulièrement putassier, car dans sa brouillamini, Lysandre recevait comme des éclats emboucanés, des images de vieilles capotes usagées… Une sensation qu’elle ne comprenait pas, mais loin, très loin d’être sardanapalesque.

J’arrive pas à me souvenir !

C’était vrai, il parlait et la sensation de le connaitre était infiniment puissante. Mais elle continuait de se balancer d’un pied sur l’autre, le cul en arrière à frôler la roche comme prête à déguerpir au moindre mouvement. Il l’angoissait, véritablement. Son regard et son attitude la laissait sur un fil d’un rasoir qu’elle n’arrivait pourtant pas à quitter. Parce qu’elle le croyait quand il disait qu’il connaissait des choses sur elle. Lysandre le sentait, au plus profond d’elle… C’était apposé dans sa chair, mais tout autant que l’envie de fuir. Elle lutta contre, pour l’écouter et enfin baisser un peu la pitoyable pierre qui soi-disant, devait le dissuader d’approcher.

Je me souviens de mon nom … Je crois que…

Elle essuya une larme d’un geste vif avant de réfléchir, de respirer. Tenant l’homme à l’œil, elle s’apercevait bien qu’il gardait une expression trop infecte pour être quelqu’un de bien. Mais il la connaissait, il était sa seule piste. L’unique radeau de fortune qu’elle pouvait agripper dans le vide absolu de sa mémoire. Alors c’est ce qu’elle fit, le regard suppliant envers l’homme qu’elle pouvait presque voir comme un sauveur.

Je crois que je me souviens que de ça. Dis-moi ce que tu sais s’il te plait, Mads. Il faut que tu m’aides. S’il te plait…

   

Du culot ? Mais de quoi il parlait ? Oui elle venait de le supplier… pourquoi cela signifiait-il qu’elle était impudente ? Son regard se perdit alors qu’elle cherchait encore et encore à remuer les limbes de son cerveau à la recherche d’indices. Qu’est ce qu’elle avait fait… qui elle était. Rien. C’était le putain de vide. Mais le seul son qu’elle arriva à sortir pour répondre au type, ce fut une espèce de bégaiement informe sans aucun sens. Elle vomissait un souffle qu’elle n’arrivait pas à modeler pour communiquer. Qu’est ce qui clochait à ce point ? L’autre, le Mads là, il semblait tout savoir mais ne rien dire. La pointe d’agacement fut pourtant rapidement balayée par les paroles suivantes … Qu’elle ne pige pas. Il parlait il parlait mais rien n’avait de sens. Elle fronça les sourcils, pour poser un regard perdu sur le visage si étrangement familier, si effrayant aussi… à lui en dresser l’épiderme. Une sensation faite de crainte et de dégouts… Malgré ça la rouquine ne pouvait pas s’empêcher d’implanter ses espoirs en lui. Il était la seule lumière capable de la guider à travers les ténèbres embrouillées de son esprit vraisemblablement malade. Le sursaut qui suivit l’approche de Mads fut un reflexe étonnant, mais elle lutta contre pour le laisser lui prendre la main bien que le geste semblât la gêner. Elle déglutit. Ce contact déplacé générait encore une nausée, une espèce de transcendante alerte qui dardait son corps d’un avertissement de danger imminant. Mais bordel, il la baignait cette fois d’un regard si doux, empreint d’inquiétude ! C’était à y perdre son latin… d’ailleurs c’était bien le cas – ceci était un message de la joueuse-.

Une chambre… chez toi ? J’habite chez toi…

Elle en était fébrile. Autant Mads avait été d’une violence encore éteinte avec elle, mêlé d’une espèce de malveillance qui avait tourné au cynisme. Maintenant, il semblait aussi doux qu’un agneau, et déclarait à l’aise qu’elle avait de quoi vivre chez lui. Et celle main, qui avait saisi la sienne pour y écrire une adresse. Lysandre avait la sensation très claire que cette carne avait longuement été l’objet de bien des sévices. Mais revenait toujours, cette chaleur troublante plus bas que son ventre, et la honte s’emparait d’elle tendit qu’elle faisait mine de déchiffrer l’écriture sur sa paume.

Greenwich , East Distict.

Angleterre ? Ça lui pétait au casque sans qu’elle n’arrive à comprendre d’où venait l’information. Comment allait-elle réussir à trouver cette adresse si elle n’arrivait même pas à se souvenir de la ville dans laquelle elle se trouvait ? Ils parlaient bien Anglais, pourtant Lysandre était persuadée de se trouver en Italie.

Je sais pas comment faire … Je vais me perdre Mads ! Me laisse pas toute seule, me laisse pas j’arrive pas à comprendre. J’ai la trouille y’a rien qui vient… je veux pas être seule. Il faut me dire quoi faire…

Tout en parlant de cette manière si décousue (autant que le bordel dans sa tronche), la rouquine n’avait pas hésité cette fois à empoigner la manche de Mads pour l’empêcher de s’éloigner. Elle serrait si fort que ses articulations blanchissaient, et son regard éperdu tentait de captiver celui de l’homme qui ne pouvait pas la laisser ainsi, si ? Cela répondait sans équivoque à sa question. Elle y serait, dans cette chambre qui était soi-disant la sienne. Peut être que certains éléments l’aideraient à recouvrer un semblant de mémoire. Peut être que de quelques bricoles, elle en tiendrait des éclats qui lui permettrait d’avoir quelques pièces à recoller par la suite. En attendant, il était son unique option… Quoi qu’il lui dirait de faire, Lysandre s’y appliquerait avec la plus grande des minuties.