Elle avait une chance de cocu. Heureusement qu’elle n’était pas en couple. Quand cette fille aux cheveux fluo était entrée dans la boutique de comics au moment où elle prenait son service, son sac à dos caché derrière le comptoir, elle aurait presque pu croire qu’une divinité existait au-dessus d’eux tous.
La nana cherchait des colocataires. Elle cherchait un endroit où vivre.
C’était l’histoire de sa vie, quand on couchait avec la mauvaise personne.

Et maintenant Cadi se retrouvait coincée le cul entre deux chaises. Elle avait mis les pieds dans l’appart. Sérieusement, elle pouvait à peine se permettre sa part. Le minimoy pensait même que la licorne refuserait sa proposition et trouverait quelqu’un avec plus d’argent, et avec une situation plus stable. Mais l’endroit était vraiment chouette. Jamais elle n’aurait imaginé pouvoir vivre dans les quartiers Ouest. Et la voilà là.
Sac à dos sur l’épaule droite, les yeux écarquillés devant la classitude de l’appartement. Et devant la sexytude non prise au sérieux de la miss qui lui faisait visiter. Salomée. Sam. Fort accent français (elle avait mis un petit moment à replacer), elle-même avait perdu son accent gallois depuis longtemps. Oui, elle s’imaginait vivre ici. Elle s’imaginait aussi bien d’autres choses, mais ces choses-là avait toujours provoqué son éviction de sous un toit. Il ne fallait pas qu’elle recommence. Merde, il fallait enfin qu’elle apprenne de ses conneries et qu’elle ne donne pas raison au dicton « jamais deux sans trois ».

Cadi avait vraiment envie de vivre ici. Merde. C’était pas une bonne idée. Sur tous les plans possibles. Mais elle en avait envie maintenant. Elle s’y voyait déjà.

« Eh, si mes revenus ne te font pas peur, ça me tente. » Ses mots étaient sortis de sa bouche plus vite que ses tentatives pour les retenir.

***

Le lendemain, Sam était revenue vers elle. Cette nana était folle. Et elle travaillait en fait juste à côté pour de vrai. Lou l’avait laissée dormir dans les coussins au fond de la boutique. « Juste pour cette nuit ! » avait-il bien insisté. Eh, ce n’était pas comme si elle avait envie de vivre sur place non plus. Surtout sans douche et sans chiottes.
Sam lui avait laissé le double des clés et lui avait dit de la rejoindre en soirée pour signer les papiers. Mais même une agence ne voudrait pas d’elle… comment avait-elle fait ? Est-ce qu’elle n’était pas humaine ? La question pouvait se poser. Cadi espérait ne pas avoir d’ennuis. Espérait que ce ne soit pas un mauvais coup. Mais sa bonne étoile l’avait suivie jusque-là alors pourquoi pas ?

Comme la veille, elle se tenait dans le salon avec son sac à dos. Si ce n’est qu’elle avait les clés en main cette fois.

« Quelle chambre tu veux ? » fit-elle en se tournant vers sa nouvelle coloc avec un sourire.

     

La clope coincée entre tes doigts, tu fixes l'asphalte d'un air morne. T'as hâte d'en finir. Pas que l'idée d'avoir une coloc' te déplaise. Une nouvelle expérience pour un nouveau départ, comme dirait l'autre. Mais l'idée de devoir te présenter, toi, ton appartement et ton profil te fout légèrement la bile à la glotte. T'es arrivée deux jours avant elle dans l'appartement et il grouille de cartons pleins à déballer. L'air humide refroidi le bout de tes narines et tes iris perçoivent la petite silhouette de la jeune femme. Un sourire barre tes traits et tu lui fais un signe de la main. Les politesses défilent rapidement et t'ouvres la porte de l'appartement. Le salon est la première chose visible. Le canapé est déjà calé contre un paravent, à côté d'une cheminée bleue et plein de cartons entassés. Derrière, un couloir barre la route à une cuisine tout équipée. La brune te pose une question qui te fait marrer.

« - En fait, j'ai déjà élu domicile en face des toilettes, ça te dérange pas ? Je me lève souvent en pleine nuit.

Pas que t'as une petite vessie, mais plutôt une grosse descente d'eau minérale.

T'expulses ton sac sur le canapé et avance d'une démarche guindée, ta culotte te gratte depuis ce matin et tu commences à avoir justement une envie d'uriner importante. Ton index pointe la chambre juste en face de la salle de bain, dans le couloir opposé au tiens.

- Ta chambre serait là, en face de la salle de bain. C'est une baignoire, pratique pour se couler un bon bain chaud après une journée de dure labeur. J'ai cru comprendre que tu bossais à librairie de comics en face de ma boutique ?

T'escalades des cartons et ouvre la porte de la chambre. Un petit 15m² assez respectable, si on ne compte pas les étagères murales encastrées dans les murs. Ca doit bien faire un bon 20, finalement. Dire que ton ancienne chambre faisait la taille du salon/cuisine … T'hausses les épaules pour toi-même et lui fait signe de te suivre à la cuisine. L'un des grands tabourets rencontre ton arrière-train coincé dans une jupe et tu tournes le contrat vers Cadi. Dextres plantés sur le papier recyclé.

- A toi de voir, tu peux encore faire marche arrière ! Mais franchement, tu trouveras pas meilleure colocataire que moi. » Tu lances avec un petit clin d’œil, tout en lui tendant un stylo bille et ton plus beau sourire.

Toi, flirter ? Jamais !

     

Le salon était déjà assez incroyable en lui-même. Si incroyable que Cadi n’aurait pas refusé de dormir sur le tapis, au moins pour quelques jours, si on lui avait dit de le faire. Mais non, elle avait la chance qu’on lui propose carrément une chambre dans ce palace.
Evidemment, la licorne a déjà choisi sa chambre. Cadi s’en fiche. Vraiment, le tapis a l’air confortable même. Puis quoi de plus normal, la grande aux cheveux colorés est clairement là depuis plus longtemps qu’aujourd’hui. Mais pas de trop quand-même, vu les cartons. Le bleu de la cheminée est vraiment chicos. Un peu comme les cheveux de sa nouvelle coloc. Le petit brin de femme se sent déjà bien dans cet espace.

« Ça me va, je suis pas compliquée de toute façon ! »

Cadi observa néanmoins la pièce que Sam lui avait ouverte et trouva l’endroit à son goût. Ce n’était pas super grand, mais elle ne voulait pas non plus tout le Parlement pour elle toute seule ! Ça irait très bien avec un matelas récupéré et les guirlandes qu’elle se trimballait depuis elle ne savait même plus quand.
Elle prenait relativement rarement des bains, parce que ça consommait beaucoup d’eau, mais pourquoi pas, quand l’hiver se serait bien installé.
La brunette se tourna de nouveau vers sa coloc.

« Oui, à mi-temps. Je fais le reste à l’Odeon de Covent Garden »

La sorcière manquée suivit ensuite l’humaine vers la cuisine où le contrat les attendait. Elle baissa les yeux sur le bout de papier et prit le stylo que Sam lui tendait, effleurant ses doigts au passage sans le faire exprès.

« Oh, c’est surtout toi, dernière chance de refuser une coloc’ avec un salaire de misère ! »

Cadi sourit un peu maladroitement. Sam lui était presque littéralement tombée dessus le jour même où elle se faisait virer de son ancien logement. Des fois, elle avait l’impression que quelqu’un veillait sur elle.
Le stylo en suspens au-dessus de la feuille, elle attendit de voir si Sam était définitivement d’accord pour se lancer avec elle, avec les risques que ça comportait.
C’était presque « pour le meilleur et pour le pire ». Eh, presque était le mot-clé.

     

T'attends tranquillement qu'elle daigne prendre le stylo figé entre tes doigts et tes billes bleues ne quittent pas les siennes. Elle a de jolis mirettes en plus d'avoir un sourire adorable. Tu te demandes si le fait de prendre une nana comme colocataire est une si bonne idée. A la base, t'étais partie pour demander un homme, puis l'idée de tomber sur un détraqué sexuel capable de venir te fouiller le vagin de force en pleine nuit t'as légèrement fait reculer. T'es pourtant plus vaillante et plus confiante que ça, en général. La paranoïa, c'est pas trop ton délire, en plus des pensées misandres. Comme si les hommes étaient tous comme ça ! Mais il a fallu que tu ailles boire ce foutu verre au bar avec tes collègues et que tu laisses l'alcool te filer des sueurs froides. Ton choix s'était aussitôt porté sur Cadi à la sortie du bar, même si t'y avais déjà songé avant. Tu cogites trop quand tu bois. Tes pensées s'éparpillent. Tu reviens à toi, cligne des yeux et réalise qu'elle t'a parlé.

Merde, elle a posé une question.

« - Hum ? Quoi ? T'as peur de signer ? Tu lances avec un petit rire en bondissant du tabouret.

Tes pieds t'amènent jusqu'au frigo – déjà rempli, bien entendu – d'où tu sors deux grosses bouteilles. Une d'un vin fortuné, l'autre d'une bière plutôt bon marché. Après tout, il est l'heure l'apéritif et t'as soif.

- Lequel tu veux ? Tu lui demandes en faisant volte face, une bouteille dans chaque main et un sourcil levé.

Tes cheveux bleus s'éparpillent autour de tes épaules et tes dextres glissent le long des bouteilles que tu déposes sur la grande table, à côté du contrat signé.

- Bon, j'ai pris ma journée de demain pour finir de tout déballer. T'as de gros meubles ? Comment ça se passe de ton côté ?

Tu la bombardes de questions pour la bonne cause. Suffirait pas que t'installes tout le logis comme s'il n'était qu'à toi. Désormais, tu n'as plus d'appartements privés, si ce n'est t'as petite chambre cosy. Tes lèvres s'étirent en un sourire affable et tu chopes un menu sur une pile de prospectus de divers restaurants, l'estomac sur les talons. Tu crèves la dalle et la pizza géante sur la couverture du menu te fait de l’œil depuis le début de la soirée.

- Ca te dit si on commande ? » Tu la questionne entre deux lignes, le regard absorbé et tes dents mâchouillant une pointe de ta tignasse colorée.

     

Peur de signer ? Pas du tout ! N’avait-elle pas écouté ce qu’elle venait de dire ? Ou peut-être que la petite brune avait en effet peur de signer. Et si on la trainait en justice pour manquement de paiement ? On essayerait sûrement de faire payer ses parents… Des parents sorciers, à des centaines de kilomètres de là. Qu’elle n’avait plus revus depuis sept ans. Est-ce qu’elle faisait vraiment bien de signer ce contrat ? Maintenant elle avait bien des doutes. Sam, quant à elle, ne semblait se soucier d’absolument rien, comme si tout cela n’avait pas le moindre impact sur elle.
Quand Cadi leva les yeux vers sa pétillante prochaine coloc, elle ne put qu’aviser le frigo déjà plein. Et il y avait ça : participer aux courses, à l’eau, à l’électricité… est-ce qu’elle avait réellement les moyens ? Surtout avec une baignoire !
Mais après tout… une drôle de bonne étoile l’avait mise sur son chemin. Peut-être que ça devait signifier quelque chose. Alors elle fit peut-être la plus grosse bêtise de sa vie : elle signa le bout de papier. 3 exemplaires, paraphe en bas de chaque page. La totale. La voilà engagée de nouveau.
Fait pas tout foirer cette fois, Ca’

« Bière » fit-elle en souriant.

Heureusement que c’était son jour de repos. Sinon elle aurait dû être au cinoche dans l’heure suivante. Mais là, elle pouvait se permettre de souffler un peu.
La brunette regarda les mains de la licorne glisser le long des bouteilles humides et trouva ça particulièrement perturbant. Qu’est-ce qui pouvait bien lui prendre ?
Elle releva les yeux vers son officielle coloc, à présent.

« Juste mon matelas, si Mike ne l’a pas brûlé dans la rue… »

Un matelas et deux sacs. Un sac à dos classique et un grand sac de rando qui la dépassait presque. C’était tout ce qu’elle transportait dans sa vie. Son existence entière tenait dans deux besaces de tissu. D’un côté, elle en était fière, de l’autre, elle avait été élevée dans un monde capitaliste qui lui hurlait des sirènes d’alarme.
Détournant ses yeux de son mâchouillage de cheveux (j’espère que c’est pas des colorations super chimiques…), Cadi suivit le regard de Sam jusqu’au prospectus qui trônait.

« Si je peux faire le dépôt de caution à la fin du mois, on peut commander oui.. ! »

Elle ne voulait pas faire sa rapiate non plus, mais il fallait bien garder le minimum pour vivre. Elle ne roulait pas sur l’or, loin de là. Il fallait qu’elle fasse gaffe, mais ne voulait pas non plus plomber l’ambiance.

     

Tu sers les boissons, cale ton arrière-train et agrippe le téléphone en bout de table. Ton pouce glisse sur les touches sans faire pression et t’attend tranquillement qu’elle daigne accepter. De toute façon, tu refuses de te contenter de ce qu’il y a dans le frigo.

« - T’inquiète, je me charge de gaver le livreur.

Tu la rassures avec un petit sourire, avant d’ajoueter d’une voix espiègle.

- C’est ça ou le cassoulet qui traîne dans le frigo depuis trois jours, à toi de voir.

Tes pupilles roulent dans tes orbites et tes cuisses pivotent sur le tabouret. Tu renifles, plaque le menu devant ses iris onyx et lui fait signe de choisir. T’as furtivement évité le sujet de la rue et du matelas par pure politesse. Sujet étrange, sujet peut être sensible, t’en sais rien et préfère éviter de gaffer dès la première soirée de cohabitation. Suffirait pas qu’elle se tire en courant et en gueulant à tout le quartier que la nouvelle voisine est une espèce de puterelle haut de gamme. On t’a déjà traitée de sale poule de luxe, cela-dit. Alors que tu ramenais juste pépé chez mémé. C’est quand même de ta faute si ta jupe tentait de se faire la malle devant des p’tits vieux aux réflexes trop jaculatoires !  Mais la question qui reste coincée dans ta gorge gratte ta glotte et menace de jaillir. Tu te retrouves presque à califourchon sur ton tabouret alors que tu lorgnes sur le menu, silhouette trop penchée en avant. « Pourquoi dans la rue ? » Non, tu demanderas pas, hors de question.

- Alors, hm, tu vivais où avant ? tu demandes malgré toi en te tenant sur tes coudes, bouille coincée dans le creux et prunelles élevées vers la petite brune.  J’veux dire, t’es du coin ? Parce que j’ai l’impression que ton accent est pas du tout Londonien, tu continues avec un petit sourire affable.  

Là, ça c’est pas une question trop personnelle. C’est comme causer de la pluie et du beau. C’est comme dire : «  hey, préviens-moi que je morve pas toute la journée ! ». Dans ce cas de figure, c’est un appel à l’aide pour éviter la moindre gaffe. Si jamais Cadi évite ton regard et te marmonne une réponse vague, au moins, tu sauras à quoi t’en tenir. Et ça t’arrangera tout bonnement. Toi, tu comptes clairement pas causer de ta vie privée, ni de tes origines ou de ta classe sociale. Il est simplement hors de question que qui que ce soit sache d’où tu viens. Pour la forme, tu te permets de souligner :

- Et t’as clairement l’air de débarquer, au moins autant que moi ! »

Cette fois, ton sourire se fait plus franc.
Ca, au moins, vous l’aurez clairement en commun.
C’est déjà un bon début, non ?

     

Oh ça allait la foutre mal à l’aise si elle faisait ça tout le temps. À la limite, elle détestait presque avoir des amis avec du blé. Ils voulaient toujours « compenser » son propre manque en la matière. Enfin, est-ce qu’elle pouvait vraiment déjà caractériser Sam d’amie ? Et avait-elle vraiment du blé ou vivait-elle au-dessus de ses moyens ? Quoi que quelqu’un avait quand même accepté de lui mettre le bail de cet appart’ entre les pattes.

« Okay, marmonna le petit bout de femme en se mordillant l’intérieur de la lèvre. Et tu ferais mieux de balancer le cassoulet ! »

Elle s’y connaissait en intoxication alimentaire. Pour avoir déjà mangé des fonds de frigo en rentrant d’une soirée trop arrosée, ou d’une journée trop longue, parce qu’elle avait la flemme… Ca n’avait jamais bien fini, même quand elle était sobre.
Cadi baissa donc les yeux vers le menu, se détachant finalement de la bouille hypnotique de sa coloc.

« Une fermière, mais base bbq. »

Les pizzas au poulet avec de la sauce barbecue c’était un peu son péché mignon dans le monde de la galette italienne.
La brunette releva les yeux vers Sam quand elle lui posa une question. Sûrement rapport avec cette histoire de matelas. Elle espérait qu’il n’allait pas pleuvoir non plus.

« Une coloc dans le Sud de Londres… pas sûre qu’il soit bon de renseigner les raisons de son “départ”. Mais La licorne la devança, lui indiquant qu’elle pensait à quelque chose de plus… ancien dans le temps. Ça fait presque sept ans que j’habite ici, mais il semblerait que pour l’oreille avisée, mon accent reste. »

Cadi sourit légèrement. Eh, elle n’aimait pas parce que ça lui rappelait sa famille, mais elle devait avouer qu’avoir un accent aidait beaucoup à la drague… L’accent de Sam, justement, était un exemple qu’elle-même y était sensible. Cette façon de prononcer certains mots, typiquement à la française… Gosh Ca’ ne pense pas déjà à ça..!

« Pays de Galles, en fait. Toi c’est la France ou un autre pays francophone ? »
La Galloise se mordit la lèvre puis ajouta tout de même :
« Du coup je connais pas trop mal certains quartiers de la ville, genre Soho… évidemment, donc si des fois tu veux quelques tuyaux… »

     

T’as mis le doigt sur un truc, tu le sens. Bon, dis comme ça … Tes pupilles s’écarquillent, rondes comme celles d’un matou lorsqu’elle évoque la pizza fermière. Bon, pas de bol, tu vis avec une viandarde. T’aimes la bidoche, mais les animaux, tellement plus … Certains repas te mettront à sérieusement à l’épreuve.

Tant pis.

« - Va pour la fermière ! Tu confirmes en appuyant sur les touches pour composer le numéro. Et t’inquiète pour le cassoulet, j’résiste à tout, j’ai jamais été malade !

Du moins, aussi loin que tu t’en souviennes.

T’as à peine composé trois chiffres qu’elle déballe le tapis. Ancienne coloc', sud de Londres, sept ans de vie dans la Capitale. Oh, et pays de Galles. Elle n’en dira pas plus, du moins tu le supposes sans difficulté. Inutile de demander les raisons de ce changement de logis. Tu préfères te concentrer sur son accent très caché sous les roulements de langue. Très mignon, au passage. Les joies d’être hyper-acoustique, ou d’avoir l’oreille musicale.

- France, tu confirmes entre deux mouvements de tête avant d’appuyer sur la touche d’appel.

La tonalité te bousille les oreilles au moins autant que la musique d’accueil. Les avantages d’avoir une ouïe super fine ne sont plus évident dans ces situations. Quand tu passes enfin ta commande, adresse et instructions données, tu raccroches et pivote à nouveau vers Cadi.

- Ce serait avec plaisir ! Je t’avoue que j’ai besoin de récupérer un peu de train-train quotidien après mon dernier voyage. Faut que je m’enracine un peu. En priant pour pas trop vite perdre mon bronzage avec ce nouveau climat, t’ajoute avec un sourire.

Même si l'Égypte te manque et aussi cet étrange pote que tu t’es fait sur place et avec qui t’as réussi à avoir beaucoup de laissés-passés. Des vacances en or, littéralement. T’accroches cet air rêveur qui te catégorise bien souvent de drôle de girouette la plupart du temps. Tu renifles, inspire et accroche ton verre pour boire une lampée de vin.

- Donc, il semblerait qu’on bosse face à face, tu soulignes finalement en calant ton menton dans ta paume. C’est marrant quand même … Je veux dire, que je sois tombée là pile quand tu cherchais. J’ai commencé mon job y a seulement une semaine, c’est fou ce qu’on trouve vite un appartement ici. En France, j’aurai été à la rue pendant deux ou trois bon mois … »

Tu soupires en roulant des yeux, exaspérée par les anciennes galères administratives. Le seul inconvénient, c’est qu’ici, certains propriétaires peuvent virer leur locataire du jour au lendemain. Au moins, dans ce quartier chic, t’es presque certaine d’avoir un service moins prompt. Et encore … Ton nouveau métier est loin d’avoir fait plaisir à la propriétaire des lieux, qui certainement, a bien failli tourner de l’œil en étudiant tes papiers, ta fortune et ton nouveau salaire. Rien ne colle. Tout se mélange. Quant au fait de devenir journaliste, l’idée ne te séduit plus du tout depuis que t’as pris la poudre d’escampette.

     

Surtout le poulet. Cadi pouvait bien se passer de toutes les viandes du monde, sauf le poulet. C’était comme ça. Et le poulet frit… mmmmmmmh.
Jamais malade ? En voilà une chanceuse ! La Galloise sourit.

« Je te laisserai le manger alors… ! »

La licorne confirme ensuite sa première idée. Elle vient de la bonne vieille France. Cette ennemie ancestrale de la Grande Bretagne. À ce qui paraît. Du moins jusqu’à la Guerre Mondiale des humains. L’accent français avait quelque chose de toujours assez reconnaissable. Et mignon. Comme celui de cette fille brune dans les films… Cadi avait une très mauvaise mémoire des noms.
La sorcière observa sa coloc avec un sourire tandis qu’elle commandait. Le son du nom de la pizza dans sa bouche roulait comme une évidence. Mais jamais, elle, elle n’arriverait à le prononcer comme ça.

« Tu étais où avant ? »

L’allusion au bronzage indiquait un endroit ensoleillé. Ou bien une station de ski. En même temps qu’elle, Cadi avala une longue gorgée de bière. Il semblerait que son voyage l’ai fait rêver. Il allait falloir qu’elle en apprenne plus sur elle pour éviter les situations délicates. Genre la draguer bourrée (ou pas) alors qu’elle est hétéro et/ou casée. Malaise. Quoi que Luce n’avait jamais été plus loin qu’un petit baiser sur les lèvres avec ses copines avant de se retrouver avec la tête de la brunette entre les cuisses. Alors qu’elle était en couple. Avec un homme. Ces choses-là ne voulaient rien dire. Surtout dans une capitale comme Londres.

« Oui. Quand on a de la chance, ça va assez vite. Et des revenus pas trop mauvais, aussi… »

Cadi était toujours persuadée que Sam devait avoir d’autres rentrées d’argent que ce boulot chez le disquaire. Sinon personne ne lui aurait jamais filé le bail de cet appartement.

« Mais c’est surtout moi la chanceuse. Si tu avais préféré vivre seule, j’aurais vraiment été sous les ponts. Et les ponts de Londres sont pas très romantiques la nuit… »

La Galloise se tourna vers le reste de l’appartement. Ouais, elle se voyait bien vivre ici. Au moins pendant un moment. Si jamais elle n’arrivait vraiment pas à joindre les deux bouts, elle aurait au moins un toit pour faire d’autres recherches.

« On migre sur le canapé ? »

     

La brune te laissera visiblement dévorer les restes avec plaisir. Inutile de te le dire deux fois, oh ça non … L’appel passé, tu t’intéresses totalement à ta nouvelle colocataire. Sincèrement curieuse, mais pas trop pour lui laisser de l’espace. A sa première question, tu réponds le plus simplement du monde :

« - Hm, en Egypte …


Avant de réaliser :

- Oh, tu veux dire ici, avant d’arriver à l’appartement ? A l’hôtel !

Aie. Trop d’étalage de pognon. Tu vas devoir sérieusement songer à faire gaffe à ça. L’appartement à lui seul est la preuve que tu touches trop pour une disquaire. Et si la miss compte te poser des questions à ce sujet un jour, il faudra te préparer à déballer le mensonge le plus pourri que t’auras trouvé sur le vif. Tu ne veux décidément pas que ça arrive. Lorsqu’elle évoque les ponts, l’autre possibilité de logement pour elle si l’occasion ne s’était pas présentée, cette impression fait grincer tes boyaux.

Ouais, va vraiment falloir que tu fasses profil bas …

- Yep, j’te suis ! tu rétorques en chopant ton vin posé sur un coin et en allant te vautrer dans le canapé, tout en lui laissant une place.

T'es bien contente de passer à un autre sujet. Presque sauvée par l'envie de cocooning ! Une fois adossée aux coussins confortable, tu captes les éclats dans ton verre neuf sous la lumière artificielle et tu réalises une chose.

- On a pas trinqué !

T’agites ton verre, avisant la liqueur dorée luire à l'intérieur. C’est comme un ciel d’or peint d’étoiles. En plus d’être délicieuse, cette satanée boisson est poétique.L'ironie. Dire que tu l'aimes grâce à celui auquel t'en veux le plus au monde, ces derniers temps.

- Je sais pas si c’est important ici, mais de là où je viens, on y coupe pas ! » tu lui assures en souriant aussi franchement que possible.

Il ne faut pas y penser, c'est loin de toi tout ça, maintenant.

Ton bras s’étire et se fige au-dessus de vos têtes, attendant sagement le scellé des deux verres. Plus sacré que la signature sur le bout de papier.

Parole de Franchouillarde.

     

Non non, elle avait bien posé sa question vis à vis de son « voyage » dont elle venait de parler plus tôt. Egypte, hôtel… ce qui expliquait sûrement comment elle avait réussi à convaincre quelqu’un de lui donner le bail de l’appartement. La licorne ne payait pas de mine, mais il semblait qu’elle avait des ressources inconnues.
Cadi n’avait jamais été riche, même chez ses parents, qui n’étaient finalement qu’un équivalent de cadre pas même supérieur. Mais ils vivaient dignement. Sa sœur, probablement, vivait un niveau de vie plus élevé qu’eux maintenant. Mais l’argent n’intéressait pas la sorcière. Ce n’était qu’un moyen pour ne pas dormir dehors et pouvoir manger, parce que la société était trop pourrie pour que ces choses-là aillent de soi.

Elle se laissa tomber à côté de Sam sur le canapé et leva la tête vers elle quand elle fit remarquer qu’elles n’avaient pas trinqué. C’était vrai. Ce n’était pas spécialement un réflexe du côté de la Galloise. Elle regarda leurs verres aux liquides qui se ressemblaient grandement mais qui n’avaient pas du tout le même goût.
La sorcière répondit au sourire de sa coloc.

« Eh bien si on n’y coupe pas, on n’y coupe pas ! »

Cadi approcha son verre et le cogna légèrement contre l’autre dans un tintement qui résonna quelques secondes. Elle espérait sincèrement que ça se passerait bien ici. Qu’il n’y aurait pas de soucis. Qu’elle ne se ferait pas encore mettre dehors.
Elle avala une gorgée de sa bière et se demanda si elle devait lui parler tout de suite de son attirance pour les femmes. La licorne ne semblait pas du tout être vieux jeu, mais eh, on ne savait jamais. Mais si elle l’était, lui dire maintenant signifierait se faire mettre à la rue avant même d’avoir pu manger sa pizza. Pas une bonne idée. Au fond, peut-être qu’attendre de se faire surprendre avec une fille dans sa chambre ou sur le canapé, c’était toujours la technique la plus appropriée. Et si Sam avait un gaydar pas trop inexistant, elle devait déjà savoir. Mais ça… coup de poker.

« Comment tu trouves Londres jusqu’à présent ? »

Eviter les silences. Mais Cadi ne voulait pas non plus poser des questions trop personnelles. C’était un coup à faire une boulette.

     

Si t’es bien sûre d’une chose, c’est de t’entendre avec elle. Avec son allure de garçon manqué tantôt joyeuse, tantôt boudeuse, elle te donne l'impression d'être quelqu'un de singulier et de franc. La sonnette de l’interphone se fait entendre alors que tu t’apprêtes à répondre à sa dernière question. Super, ça te donne matière à réfléchir. Comment tu trouves Londres ? Tu farfouilles dans le sac pendu de manière négligé au bord de la cheminée et fronce les sourcils en cogitant. Mouvementée. Tes pas t’amènent jusqu’à la porte d’entrée et tu offres un sourire ravi au livreur. Dit livreur qui bug légèrement en réalisant qu’une femme plus grande que lui se tient juste là, sur le palier. T’as l’habitude. Vivante. Oui, vivante, ça lui va bien. Bordélique. Parfois pas toujours très propre ? Comment décrire une ville telle que Londres ?

Une fois la porte fermée, tu te laisses tomber sur le sofa et soupire en déposant la pizza.

« -Indescriptiblement bordélique et vivifiante !

Voilà, ça c’est bien. Tu coupes déjà plusieurs parts de pizza et croise tes guiboles en te calant sur le côté, bras du fauteuil dans ton dos afin de mieux pouvoir observer la brune.

- D’ailleurs, tu reprends en croquant dans la pizza encore bouillante, les papilles pleines de sauce tomate onctueuse, faudrait qu’on se fasse une virée toi et moi. Ce sera l’occasion d’apprendre à se connaître.

Autant faire d’une pierre deux coups.

- On sort, on s’amuse un peu et hop, j’fais du repérage en même temps !

Simple et efficace.

- A moins que tu veuilles pas te coltiner la colocataire ? tu tentes en papillonnant des yeux, la bouche pleine de pizza. »

T’as sûrement de la sauce tomate sur les lèvres, mais tu t’en moques. Autant l’habituer maintenant à te voir te goinfrer comme une malpropre. On t’a trop longtemps forcée à manger avec des couverts en argent et des serviettes en soie.

Brr, quelle horreur.