«
Ой у гаю, при Дунаю
Соловей щебече.
Він же свою всю пташину
До гніздечка кличе. »
Sa grand-mère ne s’était sûrement jamais doutée que cette chanson conviendrait si bien à un moment de la vie de son petit-fils. Du moins, il fallait l’espérer. Assis sur un mur en ruine d’un autre temps, Valerian marmonnait pour lui-même les vers qu’il connaissait par cœur. Un peu plus loin, des nomades du désert s’occupaient à la tache à laquelle il s’était dévolu quelques instants plus tôt : puiser de l’eau avec un vieux seau. Le puit était à peine visible, délimité avec des pierres des bâtiments mêmes qui n’avaient plus d’autre utilité que de servir de carrière de blocs taillés pour les gens du coin.
Autour de son cou pendaient les plaquettes d’identification de ses frères d’arme. Le soldat essuya l’eau qui coulait parmi les poils de sa barbe poussant.
S’il remarqua le sang sur l’extrémité de sa manche, il n’en eut aucune réaction. Ses yeux clairs posés sur les civils un peu plus loin qui parlaient dans leur propre langue, il laissa encore quelques instants à son corps pour retrouver une température adéquate à sa remise en marche. L’eau fraiche provenant des réserves souterraines aidant, il se remit vite debout.
Laissant les gens à la peau sombre et les derniers vers de la chanson sur cet oiseau isolé qui appelle sa famille, il n’eut pas besoin de regarder la carte plastifiée dans sa poche pour se mettre en marche en direction du camp de base de l’ONU. Ses lunettes de soleil rabaissées sur son nez.
Personne ne semblait vouloir ennuyer un soldat solitaire qui traversait le désert en silence. Son uniforme soviétique était bien la seule chose qui pouvait renseigner sur les raisons de sa présence ici. Il avait depuis longtemps abandonné la tâche bleue de son casque. S’il n’avait pas été aussi clair de peau, on aurait bien pu supposer qu’il avait volé l’uniforme sur le corps d’un mort. Le sang aidait. Le liquide jadis vital pour ses collègues rendait à présent rigides une partie de ses manches et tout le bas de son pantalon. Les pourtours de son col avaient aussi changé de couleur, quand il s’était vidé le premier seau d’eau sur le sommet du crane, nettoyant le sang qui avait coagulé dans ses mèches.
Valerian avait cependant nettoyé celui de ses ennemis qui aurait taché ses mains s’il avait été moins rigoureux.
Quand la nuit commença à tomber, le géant décrocha sa pelle pliable de son paquetage et creusa un trou relativement peu profond dans le sable encore chaud puis y déposa ses affaires avant de se déshabiller. Quelques secondes plus tard, il prenait sa forme animale, son pelage encore moins visible que le camouflage de son uniforme (tâché qui plus était) contre le sable nocturne.
Il percevait l’éveil des lézards, des serpents et des rongeurs dans le sable autour de lui sans aucun problème.
Il avait toujours été délicat pour lui d’évoluer sous sa forme animale quand il ne partait pas en mission quelque part, ou qu’il ne s’évadait pas dans la toundra soviétique. Le puma n’était pas un animal natif de ce continent. Mais chasser sous couvert du crépuscule ou de l’aube demandait seulement d’éviter les prédateurs potentiellement plus gros que lui. Ici aussi, il en allait de même. Mais dans ce désert, il était sûrement l’un des plus gros animaux qui soit.
Ses compagnons n’avaient jamais su à quel point ils étaient tombés juste en le surnommant
горный ревун « le hurleur des montagnes ». Si pour eux, c’était à cause de son fusil qui crachait sa déflagration depuis les hauteurs, c’était aussi l’un des noubreux surnoms du puma outre-Atlantique.
Le félin avait encore le goût du sang des rebelles soudanais sur la langue, mais cette nuit-là, il allait devoir se contenter d’animaux plus petits.
Le lendemain, Valerian était enfin arrivé au camp de base.
Sans aucun détour, droit vers la tente du chef d’opération britannique, il laissa la colère qui grondait en lui depuis deux jours s’exprimer par ses poings. Il ne faisait pas partie de ceux qui hurlent des reproches comme dans les films. Tout le monde devait bien savoir qu’à cause de ce type, toute son unité y était passée. Ou au moins, le gars le savait.
Il fallut plusieurs hommes pour parvenir à l’écarter de l’officier au visage ensanglanté. On l’assoma même pour pouvoir le mettre aux arrêts.
Tout ce qu’il sut ensuite, c’était que le gouvernement de Russie par une courbette couarde diplomatique le laissa aux bons soins de la cour martiale britannique pour avoir agressé un supérieur. Et qu’il se retrouva derrière d’autres barreaux.
Six ans, onze mois et trois jours sans pouvoir se transformer… Son instinct de survie avait juste été assez fort pour qu’il puisse se retenir de tuer quelqu’un avec ses membres humains. Il ne serait jamais sorti de là sinon.