Une vieille lettre dépliée. Défroissée. Usée par le temps. Les mots n’ont plus de sens à force d’être lu et relu, encore et encore. « Mads, tu liras cette lettre quand tu seras ass -».
Inspire. Expire. On y retourne.«
Mads,
Tu liras cette lettre quand tu seras assez grand pour y comprendre les mots que je dépose sur le papier entre deux quintes de toux. Ton père te fait sauter sur ses genoux pendant que je rédige ce message. Il est revenu de la mer pour te prendre dans ses bras une dernière fois. On sait ce qui va arriver … Mais on ne peut pas lutter. Et, tout bien réfléchi, tu as plus d’avenirs et de chances de survivre auprès du Vatican qu’avec nous. Je te joins une photographie de la vieille baraque qui nous sert de logis, tu en jugeras par toi-même. J’espère simplement que tu sauras nous pardonner. Que ta vie n’est pas trop dure à leurs côtés. J’espère … »
La lettre est arrachée brutalement. Les azures se perdent dans le vide. Il inspire, expire.
Pourquoi ? - «
Rends-la-moi !Un cri est gerbé de ses entrailles. Le sang dégouline de ses pores et s’écrase contre ses orteils dénudés.
Pas une vie trop dure, hein ? Foutage de gueule. Une bulle de sang explose dans sa bouche et il crache sur l'asphalte. La lettre est à nouveau froissée. Coincée entre les poings du bourreau. La rage écume de sa carne et il beugle, Mads. Et le coup percute à nouveau sa mâchoire béante.
Il aurait mille fois préféré cette vieille bicoque aux tortures d’Alessio.
-
Pas tant que t’auras pas compris, Mads. Le pouvoir sert notre cause, dis-le !-
VA TE FAIRE FOUTRE ! »
Un élan, une mine placide et des phalanges qui brisent son œil droit. Tout craque, mais pas ses résolutions.
Prenez-lui tout, mais pas sa foutue fierté.****
De : Alessio Santos
A : Mads V. MacNamara.
Objet : Lysandre. -
Mads, j’ai appris pour la gosse. Tu l’as envoyée en plein désert sans rien à manger, ni à boire ? Et plus encore, j’imagine. Elle vient à peine de recevoir le Nectar Dei et c’est la deuxième fois que tu la laisses seule en pleine nature. En territoire hostile, qui plus est. L’éducation que je t’ai offerte était juste, équilibrée et emprunte d’une autorité raisonnable et toujours justifié. Ce que tu fais à Lysandre est cruel, ni plus, ni moins. Nous t’avons offert l’opportunité d’éduquer et de former l’une de nos futures meilleures armes. Avec toi, elle est vouée à être l’une des plus compétentes.
Mais pas si tu la fais tuer dans ta quête irraisonnée de perfection. N’as-tu donc rien appris de ce que j’ai pu t’enseigner ? Tu n’es pas pieu, Mads. Tu es dévoré de passion, de haine, de jalousie … Tous les pêchers pullulent en toi à petit feu. Repends-toi au plus vite et cesse ces hérésies.
Nous avons besoin d’elle, vivante. Alessio.
****
De : Mads V. MacNamara.
A : Alessio Santos
Objet : Re : Lysandre. -
Alessio, j’ai eu le Nectar Dei il y a quinze ans maintenant. J’ai été nommé Chevalier il y a six ans.
T’as fait ton job, maintenant fous-moi la paix. J’apprendrais à cette mioche comment buter la raclure comme je l’entends et c’est comme ça qu’elle pigera.
A ma manière. Tu sais qu’elle a buté deux loups ? Chacun deux fois sa taille. Elle guérit vite. Elle s’en remettra. On verra bien si elle arrive à sortir vivante de sous le sable …
Ouais, t’as bien lu. Mads.
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De : Vatican
A : : Mads V. MacNamara.
Objet : Gowan.-
Chevalier MacNamara,
Nous avons eu vent de la réussite de votre protégée, Lysandre. La cible a été éliminée avec brio par ses soins. Elle a été la plus rapide et la plus vive. La plus intelligente, aussi. Il ne sera plus un problème pour nous désormais. Ce fait d’arme sera retenu dans vos deux dossiers. Continuez ainsi avec votre disciple, elle ira loin.
Cordialement.
Ps : Veillez à supprimer ce message dès la lecture. Suivez le protocole informatique. ****
La clope entre ses lippes, le papier dans la dextre droite. Mads agrippe le bâtant de la porte d’hôtel, défait ses lunettes de soleil de sur son arrête et fonce droit vers sa cible. Le sourire qui se peint sur sa gueule est aussi abrasif que le café ingurgité par Santos. Il le sait Mads, il les aime fort ... et ébouillantant. Le clébard fou lui jette la feuille barbouillée d’encre à la gueule et lève un majeur fier sous le nez de l’Italien.
« -
Tu disais quoi sur ma disciple, déjà ? Ah ouais, elle crèvera avant l’heure. J’ai fait de cette merde la meilleure de l’élite, prends-toi ça dans le cul. P’t’être bien qu’il en a enfin fait quelque chose, de la mioche. Une jambe croisée, le regard baissé vers la lettre et son foutu air hautain. Toujours cette putain de fierté et ce balais coincé dans le cul.
-
Tu t’y connais dans le domaine, n’est-ce pas ? qu’il ose lancer d’un air flegmatique.
-
Va te faire foutre.-
Pas autant que toi.-
J’me casse !-
A bientôt, Mads. Connard.
Le sourire sur sa gueule déforme ses traits.
Sous ses airs pincés, la fierté est malmenée.
Mads a gagné. ****
Comment c’est arrivé ? Comment cette petite conne a pu le baiser aussi profond ? Ses doigts grattent le bandage collé à sa carotide et sa gueule grimaçante pivote vers l’écran. Un coup de lame bien pensée sur sa nuque. Dire qu’il commençait à apprécier la rousse. Foutue grognasse. Un nouveau râle est gerbé de sa bouche tordue et il avance doucement vers l’écran pour dénicher un mail.
Un nouveau.
Alessio … Le bras valide dégomme l’écran d’ordinateur et l’appareil valse à l’autre bout de la pièce. Le rouge lui monte aux rétines. Il va la tuer.
Et ce sera long et crade. - «
T’es morte Lysandre … Morte ! »
****
Son index glisse lentement sur les touches et ses prunelles brillent.
Il tâtonne. Il hésite, Mads. Parce que ce qu’il compte faire de cette information changera absolument tout.
Mais c’est à lui, qu’elle a fait ça. Désormais, c’est une affaire personnelle. Elle l’a baisé et il compte bien lui rendre la pareille. Ses iris incisives percent la foule à travers la vitre et son ongle de pouce vient se nicher entre ses canines. Elle est là, plantée dans la rue.
Elle a grandi. Il n’y a presque plus rien d’enfantin sur sa bouille tâchée. L’air est expiré de ses narines et son regard oblique à nouveau vers l’écran de l’ordinateur. D’où il est, elle ne peut pas le voir. Mads s’arme d’une moue mi-figue, mi-raisin, avant de tabasser les touches du clavier.
« Cible toujours en cavale, je reste à Londres pour continuer les recherches. »
L’écran est rapidement abattu, l’appareil logé dans sa valise et le grand timbré perché sur ses guibolles.
Ouais, une affaire personnelle.